La France est moche, et alors ?
Il y a une semaine paraissait dans Télérama un article qui n'est pas passé inaperçu dans les sphères de l'urbanisme, tapageusement intitulé "comment la France est devenue moche".
Les auteurs décrivent une réalité qu'on ne peut nier. Résultat de cinq décennies d'étalement urbain sous forme de zones commerciales périphériques et de lotissements impersonnels, combiné à presque 30 ans de décentralisation, l'aménagement du territoire a laissé faire une ville esthétiquement ratée. L'article, redoutablement bien écrit, aligne les formules chocs (des "métastases périurbaines" à l' "empire du hangar") et se permet même une comparaison avouons-le très drôle de la ville actuelle à une soirée sur TF1 : un "long tunnel de publicité" suivi d'une "émission guimauve" (respectivement l'entrée de ville et ses pancartes et le centre-ville transformé en musée).
C'est vrai, c'est observé, et pourtant l'article me dérange.
Il me dérange parce que les problèmes dénoncés sont des chevaux de bataille pour les urbanistes depuis quelques décennies, et que les architectes-urbanistes cités plusieurs fois et présentés comme précurseurs n'ont fait que s'emparer de la question récemment. On dirait que l'on découvre aujourd'hui une réalité de plusieurs décennies.
Il me dérange aussi parce que l'esthétique ne semble pas être le vrai problème. Je me demande ici si la mocheté de la ville est un prétexte suffisant pour une intervention urbaine. Alors oui, l'article fait un constat un tantinet moralisateur, mais ensuite quoi ? On recentralise pour empêcher des maires peu éduqués à l'urbanisme de transformer leurs terres agricoles en morceaux de ville ? On refait un Etat idéal qui contrôle l'avancée des villes au détriment de la demande des habitants ?
Surtout que la ville est moche, oui, mais elle fonctionne. L'absence de contrôle et la gourmandise de certains entrepreneurs privés ont autant influencé le mouvement que les pratiques des citadins qui en redemandaient. A l'époque implanter un hypermarché, c'était le comble de la modernité. Quant à l'urbaniste, il travaille rarement à restructurer un espace au nom de la mocheté : il faut justifier en parallèle une série de dysfonctionnements qui handicapent l'évolution de la ville (pour mon travail les friches, la rotation des acteurs économiques, le départ de certaines clientèles...).
Alors la ville est moche, et ensuite on fait quoi ? Cet article aspire à faire des vagues, je trouve qu'il a surtout enfoncé une porte ouverte. Enfin s'il peut élargir le débat sur l'urbanisme, tant mieux...